1. Savoir et savoir-faire africains : dimensions spirituelles, créativités et technologie moderne
Cycle II. "La production du savoir et du savoir-faire"
Rencontre-débat du 22 novembre 2011
Sommaire
Présentation

Le président de la CADE, Jean-Loïc
Baudet, présente cette rencontre, la
première d’un nouveau cycle sur « La
production du savoir et du savoir-faire en
Afrique ». C’est un sujet important tout particulièrement
en cette période de crise, qui a
d’abord été financière et qui est devenue économique
et de civilisation, et qui ne touche
pas seulement l’Europe. Elle pose des problèmes
de fond quant à l’orientation de nos
sociétés, non seulement au plan économique
mais également social, culturel, et nous interpelle
tous. Au coeur du développement, il y a
la production du savoir et du savoir-faire et,
à travers ce nouveau cycle, nous nous interrogerons sur
leur spécificité en Afrique, sur leur ouverture au monde
et sur leur apport aux sociétés africaines. Ce thème,
dont on n’aborde aujourd’hui que les prémices, sera
développé sur deux ans.
Il remercie Roland Portella, vice-président de la CADE,
d’avoir accepté d’animer ce débat.
Intervenants :
Lucie Emgba, enseignante en histoire culturelle et marché
de l’art à l’Ecole d’Art et de Communication de
Paris.
Modeste Chouaïbou Nji Mfenjou, avocat à la Cour,
écrivain, essayiste, auteur de « L’Afrique à l’époque du
développement durable ».◘
Introduction de Roland Portella

La problématique évoquée par ce
cycle est vaste ; elle touche tous les
acteurs de la société, de ceux qui
relèvent du système coutumier aux
professeurs et chercheurs. Il rend
hommage à Emile Hatcheu, universitaire
camerounais, grâce auquel a
pu être organisé ce cycle. Cet enseignant-
chercheur se pose la question
du développement des structures de
savoir, de savoir-faire, de formation,
d’enseignement en Afrique. Il
a besoin de soutiens et c’est à l’occasion
d’une concertation avec lui
que l’idée de ce cycle est née. R.
Portella rapporte quelques anecdotes
pour illustrer le sujet. Il discutait il y
a quelques temps au Cameroun avec
des jeunes chez un ami qui tient un
maquis (ndlr : restaurant local souvent
en plein air). L’un d’eux ayant
cité le nom de Cheick Modibo
Diarra, ce savant malien travaillant
à la Nasa, a demandé si nous, jeunes
Africains, auront la chance d’avoir
le même parcours
que lui ? Un serveur
est intervenu
pour dire que
certes, ce Cheick
Modibo Diarra
est quelqu’un de
compétent, mais
c’est surtout quelqu’un
qui a de la
sagesse et du savoir
ancestral,
ajoutant « je ne
peux rien vous expliquer car vous
n’avez pas encore acquis le minimum
de sagesse requis ».
Autre anecdote : Il a rencontré à
Libreville des experts de la diaspora
africaine dans le cadre d’une mission
de bailleurs de fonds sur le développement
durable. Un chef coutumier
est intervenu pour dire
« qu’il est aberrant, que vous, Africains,
veniez faire du transfert de
savoirs sans vous demander comment,
nous, nous avons pu préserver
notre patrimoine, nos forêts, malgré
nos problèmes. On a certainement
des techniques. Venez
d’abord voir ce que nous apportons
et confrontons-le
avec ce que vous pouvez apporter
avec vos technologies
modernes. Mais ne faites pas
l’inverse ».
R. Portella cite l’ouvrage
« L’Afrique au secours de
l’Occident » de Anne-Cécile
Robert qui met en valeur les
connaissances africaines susceptibles
de servir le monde. En
2009, Sanou MBaye a apporté une
réponse dans son ouvrage
« L’Afrique au secours de l’Afrique »
dans lequel il développe la thèse que
l’Afrique doit développer elle-même
ses savoirs endogènes, puiser dans
son patrimoine et le mixer avec les
technologies modernes pour se développer.
R. Portella termine son
introduction en interrogeant les intervenants
sur ce qu’on entend par
patrimoine immatériel, savoir, connaissance.
Pour Lucie Emgba, la question essentielle
est de savoir comment passer
du singulier à l’universel. Comment
faire en sorte que les savoirs
endogènes deviennent quelque
chose de commun, non seulement à
l’Afrique, mais au monde ? Quant
aux systèmes de pensée et de connaissance,
il est vrai qu’il y a un
clivage de fait puisque les systèmes
de pensée endogènes ont souvent été
étudiés comme quelque chose de
spécifique ; on a parlé de la
« pensée sauvage », de la « pensée
primitive » pendant longtemps. Or
le système de connaissance est appelé
à devenir du partageable, conduisant
peut-être à l’uniformité alors
que les systèmes de pensée peuvent
être particuliers. On aborde ici le
fameux relativisme anthropologique
de la seconde moitié du XXe siècle.
Pour Modeste Chouaïbou Nji
Mfenjou, la question est de savoir
s’il y a des savoirs et des savoirfaire
en Afrique. On est dans un
monde qui affirme haut et fort que
l’Afrique est en marge, qu’elle ne
contribuerait pas assez ou qu’elle ne
bénéficierait pas assez parce qu’elle
-même ne produirait pas assez, attendant
que les autres le fassent
pour elle et que, de plus, elle ne bénéficierait
pas d’un système de pensée
endogène. Pour M. C. Nji Mfenjou,
ce système de pensée est bien
présent mais n’est pas valorisé ce
qui empêche l’Afrique de profiter de
son savoir et de son savoir-faire.
Pour faire transition avec le premier
exposé, Roland Portella relate
qu’une artiste africaine était reléguée,
dans une galerie d’art, au
rayon exotique. Elle a protesté, disant
qu’elle transmet par son art des
valeurs universelles et que ce confinement
n’est en rien justifié. Après
cette anecdote illustrative, il donne
la parole à Lucie Emgba.◘
Des savoirs partageables

Lucie Emgba aborde son exposé en relevant la frontière qui existe dans le domaine de la reconnaissance des cultures. C’est une question cruciale dans celui de l’art. On parle des « arts extra-européens » ; l’exotisme et le folklore sont toujours présents dans la représentation de l’autre. Cette perception s’applique aux objets des autres dits traditionnels, primitifs, sauvages, nègres et donne aux artistes contemporains le sentiment d’être classés. Pour aborder le sujet du savoir et du savoir-faire, L. Emgba choisit de s’appuyer sur son matériau de travail que sont les objets d’art africain. A travers eux, les populations locales, lorsqu’elles représentent le monde, mettent en avant des connaissances et des savoirs partageables, car L. Emgba le déclare avec force : oui, l’Afrique a quelque chose à partager. Elle présente la diapositive d’une figure anthropomorphe : un homme amaigri dans une posture qui lui semble être universelle, celle de la pensée, de la réflexion. Il se trouve que c’est un homme malade, figure emblématique du traitement de la maladie dans l’art africain. Au-delà de cette représentation spécifique, endogène de la maladie, il y a cette douleur qui nous est commune à tous, face à cet état. La maladie est également exprimée par la représentation d’une statue dogon, un des premiers peuples à avoir été découvert pour leurs créations plastiques au début du XXe siècle.
L. Emgba montre ensuite une représentation d’une statuette à clous du Congo qui représente à la fois la maladie en tant qu’atteinte portée au corps et le traitement de cette maladie par le guérisseur, donc à la fois la représentation endogène de la maladie, donnée universelle, et son traitement par le savoir et le savoir-faire africain. Se pose alors la question non plus de la représentation visuelle du mal mais de la représentation sociale, culturelle qu’on s’en fait dans ces territoires, ce qui amène à s’interroger sur le sens donné dans ces derniers à la « corporalité ». Il y a bien entendu des constantes, car même si les spécificités territoriales, culturelles sont bien affirmées, aussi bien sur le plan plastique que sur celui de la représentation du monde, on trouve des convergences sur la philosophie de l’homme, sa place dans la vie, son rapport à la souffrance, à la mort notamment. Il se trouve que le rapport au mal, au corps, renvoie au monde de l’invisible, donc à cette dimension spirituelle qui amène l’homme à considérer son corps comme partie intégrante de quelque chose de plus vaste que ne l’est le corps en Europe : corps indivisible aux individualités closes (conception européenne de ce moi malade), mais corps beaucoup plus divisible, décliné sur plusieurs plans dans la grande majorité des traditions africaines, découpé en plusieurs états d’être, impliquant certes le corps et l’âme, mais aussi l’esprit (on rencontre ici des spécificités culturelles), chez certains la notion de souffle, chez d’autres celle de l’ombre, le nom de l’individu pouvant lui-même traduire un certain état de sa personne. Ce sont autant de soubassements qui vont demander à être reconnus et traités pour venir à bout de la maladie car c’est la personne dans tous ses états qui est touchée par le mal.
Des connaissances empiriques à la connaissance scientifique
Dans un premier temps, au début du
XXe siècle, pour l’essentiel, on ne
retenait des arts africains, de manière
réductrice, que des fétiches, la
représentation et le culte des ancêtres,
ce qui renvoyait à une spiritualité
flirtant avec l’irrationalité.
Or, en fait, il s’agit d’une véritable
rationalisation interne, systémique,
qui s’enracinait, certes, dans des
traditions, mais surtout dans des vécus
pratiques, empiriques. Traiter un
corps malade revient à regarder audelà
de ce corps, prendre en considération
l’environnement à la fois
proche, visible, familial, l’histoire, la
dimension narrative de la maladie :
son départ, son déroulement, les
causes possibles éventuellement virtuelles,
l’ancêtre. Faire intervenir ce
monde de l’invisible, le travailler, le
traiter est matérialisé par le geste de
guérison, voire de chirurgie illustré
par l’art africain. Celui-ci montre la
façon dont l’Africain comprend et se
représente plastiquement, éthiquement,
philosophiquement et métaphysiquement
le mal et la manière
d’en venir à bout. L. Emgba conclut
ce premier point en reconnaissant
que, au plan médical, ces savoirs et
savoir-faire existent bel et bien, qu’ils
régissent la vie d’au moins 80 % des
Africains qui sont majoritairement
des ruraux qui, vivant dans des conditions
économiques précaires, recourent
à cette médecine traditionnelle,
empirique. A-t-on, à travers
ces savoirs, la possibilité d’une évolution
vers la science ? L. Emgba
livre l’exemple de ce docteur en pharmacie
camerounais, Denis Ekotto-
Mengata, qui a mis au point un médicament
à partir d’une plante pour soigner
l’hépatite virale, l’Hepasor*. Ce
médicament a été reconnu par le
Ministère de la santé et protégé par
l’OAPI (Organisation Africaine pour
la Propriété Intellectuelle). Cet
exemple montre que des savoirs traditionnels
débouchent sur de véritables
réalisations techniques et
scientifiques.
Lucie Emgba poursuit son exposé en
abordant la cosmogonie dogon. Les
Dogon sont un très vieux peuple du
Mali, qui va surprendre de grands
ethnologues français par ses découvertes
de faits astronomiques non
observables à l’oeil nu et qui recoupent
les avancées en matière de cosmologie
moderne. La question qui se
pose est de savoir comment, à partir
de manifestations spirituelles (car les
astronomes dogon étaient avant tout
des prêtres), les Dogon ont pu fonder
des écoles d’observation du ciel, et,
à partir de leurs observations traduites
sur un registre mythologique
et symbolique, arriver à une appréciation
aussi juste de la réalité stellaire.
Ils doublent leurs autels de
prière, manifestation de leur spiritualité,
de sites d’observation scientifique
dans le même temps et dans le
même geste. Ces hommes et ces
femmes étaient en observation de la
rotation du soleil autour de son orbite
et ont calqué la gestion de leur
système agraire sur ce mouvement
cosmologique des étoiles dans le
ciel. Hormis Sirius, les Dogons vont
chercher d’autres astres, arrivant à
départager étoiles fixes et en mouvement
qu’ils identifient avec leur terminologie
locale. C’est ainsi que les
Dogon construisent leur propre histoire,
à partir de cette cosmogonie,
de cette origine nous disent-ils de la
vie, faisant partir celle-ci de l’étoile
Sirius dont des êtres mythiques seraient
descendus et leur auraient livré
le savoir.
L. Emgba termine son exposé en
citant la Sénégalaise, Oumou Sy,
cette grande dame de la mode, décorée
par la France de la Légion d’honneur
pour son oeuvre qui est, tout
comme chez les sculpteurs traditionnels,
la preuve de l’enracinement des
savoirs et savoir-faire en Afrique
dans l’existence des populations
africaines et dans le vaste monde.
R. Portella relève que ce qui vient
d’être décrit, c’est plus que du savoir,
c’est une alliance entre connaissance
spirituelle et science. Le
problème est que les jeunes ont besoin
de faire le lien entre connaissance,
action et technologie. Ont-ils
accès à cette connaissance et comment
valoriser ce savoir et savoirfaire
pour le développement ? Il
passe la parole au prochain intervenant.◘
*L’Hepasor est issu de l’Enantia chlorantha, une Annonaceae africaine dont le principe actif est la Protoberberine.
Des savoirs marginalisés

Modeste Chouaïbou Nji Mfenjou
commence par se demander si ces
savoirs et ce savoir-faire africains
peuvent être la plate-forme à partir
de laquelle l’Afrique peut se lever et
gagner sa place dans le monde. Pour
lui ces savoirs et savoir-faire sont
marginalisés aussi bien en Afrique
qu’à l’extérieur et pour gagner sa
place sur l’échiquier international,
l’Afrique devra valoriser ses savoirs
endogènes. Cet ensemble de connaissances
permet à un peuple
d’exister, peuple dont l’histoire a
été, selon l’orateur, façonnée par une
anthropologie occidentale et au gré
de ses intervenants. M. C. Nji Mfenjou
a sillonné l’Afrique en quête de
sa vérité, de sa diversité. Il a rencontré
le peuple dogon, peuple discriminé
par la géographie, son éloignement
de la capitale malienne,
mais fier de luimême,
de ses connaissances,
de sa sagesse.
Les savoirs et savoirfaire
africains sont-ils
utiles ? M. C. Nji
Mfenjou répond oui.
Mais pourquoi sont-ils
mis à l’écart ?
L’Afrique est un continent
d’initiés, mais de
cette initiation on a fait
un tabou et l’anthropologie
en a fait quelque
chose de tellement
compliqué que les jeunes s’en éloignent
pour se tourner vers les connaissances
occidentales et ses technologies.
En pays Bamoun, au Cameroun,
les jeunes étaient autrefois
soumis à l’initiation.
Celle-ci n’est pratiquement
plus pratiquée
(1 % de la population).
Il y avait des
cycles avant d’arriver
à l’âge adulte : l’enfant
naissait, était
d’abord lié à la mère,
puis au père et enfin
aux deux avant d’atteindre
sa majorité à
21 ans. Les stages
initiatiques permettaient
à l’enfant de
prendre sa place dans
la société. Cette initiation a été pratiquement
abandonnée.
Un autre facteur est celui de la spiritualité.
Quand les missions sont arrivées
au Cameroun, il a été demandé
aux Bamoun de quitter leurs pratiques
religieuses traditionnelles
pour devenir chrétiens monogames.
Plus tard, avec l’arrivée des musulmans,
les Bamoun sont autorisés à
avoir quatre épouses et plus pourvu
qu’ils deviennent musulmans. Une
partie de la population le devient,
une autre reste chrétienne ; les deux
se rejoignent finalement dans les
croyances de départ et leurs pratiques
traditionnelles. Il se trouve
qu’après la première guerre mondiale,
les Bamoun ayant été du mauvais
côté, les écoles traditionnelles
ont été fermées. Le peuple déstabilisé
a converti son savoir traditionnel
en folklore et fabriqué les objets
d’art qu’on retrouve sur les marchés
occidentaux. Comment peut-on entretenir
son savoir quand on est déconnecté
des éléments fondamentaux
de sa société ? Les musulmans
prient, sans forcément saisir le sens
des paroles, pour l’amélioration de
leur quotidien, pour la prospérité de
leur commerce, pour de bonnes récoltes.
Tout est réuni à Dieu pour
que les lendemains soient meilleurs.
Les savoirs et savoir-faire, dans ce
cas de figure, sont mis de côté et
cette déconnection des valeurs fondamentales
ne favorise pas l’accès
au développement.
En conclusion, M. C. Nji Mfenjou
pense que pour que l’Afrique se développe,
il faut qu’elle se réconcilie
avec ses valeurs endogènes. Il faut
commencer à être soi-même, avec
ses propres instruments, pour s’enrichir
de la rencontre des autres.
L’orateur regrette que l’école ne
valorise pas les connaissances endogènes
et que la jeunesse ne trouve
d’autre solution que de partir. Il rend
hommage aux ONG telles que Enda
Tiers Monde et la CADE pour leur
démarche prospective qui éclaire le
choix des acteurs sans pour autant
entretenir une quelconque dépendance.
R. Portella estime qu’il faut faire une
distinction entre le peuple et l’élite
africaine. Il a cité Sanou MBaye qui
travaillait dans des organisations
internationales. Quand il a vu qu’il
favorisait la dépendance, il est parti
pour aller valoriser les savoirs endogènes
auprès des jeunes. Il donne la
parole à la salle en souhaitant que le
débat soit centré sur la valorisation
des savoirs et savoir-faire africains.◘
Le Débat
Une première intervention porte sur
la formation et sur la valorisation
des médecines traditionnelles. Ce
sont des domaines où il faut politiser
l’action car il ne peut être laissé aux
seuls scientifiques occidentaux qui
ont une vision économique et politique
qui, selon l’intervenant,
manque de réalisme. Ce sont aussi
des domaines qui participent à la
mondialisation car ils contribuent au
rapprochement des cultures. Des
résultats extraordinaires sont obtenus
à partir des savoirs traditionnels dans
différents pays comme en Afrique
du Sud et en Inde. Il existe des actions
de recherche en partenariat
avec des Africains pour les Africains.
Pour cet intervenant, le moment
est venu pour l’Afrique de sortir
de son histoire trouble et de rejoindre
le concert des nations.
Sur l’action politique, il est répondu
qu’il faut une volonté pour faire
éclore des savoirs. Mais se pose la
question des outils qui permettraient
aux jeunes de se réapproprier cette
conscience. Beaucoup refusent de
revenir aux pratiques initiatiques car
ils sont dans le modernisme. Pour
M. C. Nji Mfenjou, le symbolique
est important ; ce sont des « pieds
nus » qui ont accumulé ces connaissances
traditionnelles. On ne peut
pas compter sur l’homme politique
africain « qui ne sait rien et qui a
peur de son propre village » pour
revenir aux savoirs et savoir-faire
africains. Le peuple le sait et c’est à
lui seul qu’il reviendra de faire la
promotion de ces connaissances. L.
Emgba préconise qu’on permette
aux jeunes Africains de se confronter
aux différents états de l’Afrique,
par exemple en leur faisant découvrir
le territoire dogon et les enjeux
de leur tradition scientifique.
Le vice-président du congrès panafricain
des anthropologues revient
sur l’initiation. L’initiation c’est
l’acquisition de connaissances. Pour
lui, les anthropologues ont une part
de responsabilité dans le malentendu
qui porte sur le sens du mot, en parlant
de magie, de mystère, ce qui le
rend incompatible avec l’enseignement
moderne. Or, on ne peut pas
connaître si on n’a pas un minimum
d’encadrement s’appuyant sur du
vécu. L’initiation, ce n’est rien
d’autre que d’amener à un certain
niveau de connaissances, fermées
parce qu’il y a des étapes à franchir,
mais ouvertes car on peut aller les
chercher. Pour L. Emgba, l’initiation
(ésotérisme) est un processus qui
pourrait être complémentaire de
l’éducation (exotérisme). L’ésotérisme
est cantonné dans un temps,
celui de l’apprentissage, avec surtout
une finalité pragmatique. L’enjeu est
de relier les sociétés traditionnelles
avec ses modalités ésotériques à la
civilisation moderne, de type européen,
avec ses modalités exotériques.
C’est pour les hommes et les
femmes africains, le travail d’une
vie. Pour M. C. Nji Mfenjou, on peut
amener la jeunesse à comprendre un
certain nombre de choses sans passer
par les structures traditionnelles
d’apprentissage grâce aux technologies
modernes.
L. Emgba, en réponse à des interrogations du public, tente de démêler ce qui relève de l’individuel ou du spécifique. Dans les domaines de l’art, de la science, de l’esthétique, on est dans l’individuel, dans le spécifique à chaque culture, voire à chaque homme. L’universel est une posture de l’humain face à la souffrance (dans les exemples qu’elle a donné de son expression dans la statuaire africaine) qui est commune à tous. Plus généralement, il y a une communauté d’expériences partageables qui essaie d’exprimer une vérité humaine qui relève de l’universel. ■
Philippe Mathieu