Quelles perspectives pour la Corne de l’Afrique ?
L ’été 2011 est marqué par le retour de la famine dans la Corne de l’Afrique.
L’état des lieux dans les quatre pays de la région
Ces pays souffrent d’une grande pauvreté, de l’insécurité alimentaire et de la faiblesse (voire de l’absence) des libertés publiques. Ceci dit, un monde sépare une puissance montante comme l’Éthiopie d’un micro-Etat comme Djibouti, d’une Erythrée dont la souveraineté s’affirme surtout par opposition avec le voisin éthiopien, sans parler de la Somalie livrée à l’anarchie.
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Djibouti dépend des redevances
versées par les bases militaires
(française et américaine) qui contrôlent
le détroit de Bab-el-Mandeb,
emplacement stratégique et couloir
de navigation très fréquenté. Sa
seconde richesse provient de l’activité
portuaire, gérée par Dubaï
World et dont la croissance est tirée
(à 75 %) par les exportations éthiopiennes.
Le FMI reste optimiste
sur les perspectives de croissance
de Djibouti et prévoit un
« redressement des investissements
directs étrangers ». Quant au Président
de la République, M. Ismaïl
Omar Guelleh, il rêve de faire de
son pays un « Singapour de l’Afrique
», bien qu’il ne dispose d’aucune
souveraineté économique,
puisque ses deux grandes ressources
sont dans la main de l’étranger.
- La Somalie, ravagée par la guerre
civile, n’a plus d’Etat et elle a quitté
le champ de l’économie. Ses habitants
vivent des fonds transférés par
la diaspora ou des aides d’urgence.
Les banques y ont disparu pour laisser
place aux banquiers virtuels que
sont les hawilad, spécialisés dans
les transferts de liquidités et pour
financer les quelques exportations
de bétail.
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L’Erythrée : les transferts de fonds
en provenance de la diaspora des
Érythréens émigrés sont la première
source de revenus du pays. Une
nouvelle ressource provient de la
mise en exploitation de la mine (or,
zinc et fer) de Bisha, exploitée par
le canadien Nevsun, qui vient d’en
extraire un peu d’or. Selon l’International
Crisis Group « l’Erythrée
est l’un des Etats les plus fermés et
les plus répressifs au monde », son
président Issayas Afeworki, étant
qualifié de « dictateur austère et
narcissique » par les diplomates
américains.
- Les taux de croissance annuelle du produit intérieur brut (PIB) réel de l’Ethiopie - égaux ou supérieurs à 10 % entre 2004 et 2009 - ne manquent pas d’étonner, car il s’avère difficile d’en apprécier les fondements. Cette croissance, principalement générée par les services (hôtellerie-restauration, intermédiation financière, services publics et immobilier), autorise les experts à pronostiquer un progrès de l’Ethiopie sur tous les « Objectifs du Millénaire pour le Développement » (OMD). On tempérera cet optimisme au regard de plusieurs médiocres indicateurs : forte inflation, faible accès aux services modernes (notamment pour la téléphonie mobile et Internet), politique agricole aventureuse, atteintes répétées aux droits politiques et aux libertés civiles.
Le retour de la famine
La survie de plus de 12 millions de personnes dépend de l’aide humanitaire, surtout en Somalie, où plus de 3,7 millions de personnes ont besoin d’une aide d’urgence, à quoi il faut ajouter près d’1,5 million de déplacés. L’Ethiopie compte plus de 4,5 millions de sinistrés et accueille 230.000 réfugiés, tandis que le Kenya, dont le nord du pays est très touché, fait face à l’afflux de quelque 130.000 réfugiés somaliens depuis janvier 2011.
Des responsabilités humaines accablantes
Le constat est sans appel : flambée des prix alimentaires, insignifiance des soutiens aux petits exploitants, abandon des terres aux entreprises étrangères, guerre civile en Somalie. L’aide d’urgence se fait attendre, car les donateurs habituels doutent que l’aide parvienne à ceux auxquels elle est destinée.
S’agissant de l’Ethiopie, la cession à vil prix de millions d’hectares de bonnes terres tranche avec le délaissement de ses agriculteurs. Le Guardian a révélé comment s’est effectué le « deal du siècle », à savoir l’accord passé avec Karuturi. Le géant indien de l’agrobusiness a loué 3 millions d’hectares de terres dans la région du Gambella pendant 50 ans pour un prix dérisoire, comme le déclare luimême le responsable du projet : « It’s a cheep. In fact, it’s very cheap » ! Karuturi produira de l’huile de palme, de la canne à sucre et du riz et prévoit la construction d’infrastructures et de villages destinés à loger ses ouvriers. Pour les paysans chassés de leurs terres, comme pour les éleveurs privés d’accès à leurs zones de parcours et de pâturages, cette offre est bien comprise comme une mesure déguisée d’expropriation.
Le Guardian informe encore que pas moins de 35 pays (dont la Chine, le Pakistan et l’Arabie saoudite) développeraient des projets de grande envergure dans la même région du Gambella. Cet abandon des terres qui tient lieu de politique agricole ne manque pas d’inquiéter, même si la Banque mondiale s’en accommode, en argumentant qu’elle contribuerait à la modernisation agricole.■
Jean Roch
Erratum : suite à une mauvaise manoeuvre le titre donné à la page économique du n° 143 de La Lettre est erroné : au lieu de « La place des entreprises françaises en Afrique subsaharienne », il fallait lire « L’Afrique et ses partenaires émergents ». Toutes nos excuses à nos lecteurs ! |